Un printemps en deux temps
Au moment de rédiger ces lignes, le printemps ne reste encore qu’un souvenir, ou plutôt un espoir. Afin de me projeter plus adéquatement au moment de la publication de cette chronique, j’écoute deux oeuvres printanières majeures de deux compositeurs marquants : Vivaldi et Beethoven. À leur manière, chacun explore des thèmes similaires : gazouillis d’oiseaux, rivières dégourdies et caprices météorologiques de dame nature. Séparés par une centaine d’années, il y a certainement une différence dans le style, mais il n’en reste pas moins une lecture compatible entre les deux compositeurs sur les images qu’évoquent l’arrivée du printemps.
La Primavera
https://youtu.be/3LiztfE1X7E?si=9qzcRHzPAjes68wU
Comme quelques fois auparavant, je vous suggère d’écouter l’interprétation de Youssefian, disponible sur les plateformes de diffusion continue.
C’est à 47 ans que le célèbre compositeur vénitien Antonio Vivaldi compose Les Quatre Saisons. La première des saisons, le printemps, prend la forme d’un concerto pour violon, c’est-à-dire un violon solo accompagné d’un orchestre à cordes (deux violons, un alto, un violoncelle et une basse continue). Cet hymne à l’universalisme et la grandeur de la nature est accompagné d’un court sonnet, attribué à Vivaldi :
« Voici le Printemps,
Que les oiseaux saluent d’un chant joyeux.
Et les fontaines, au souffle des zéphyrs,
Jaillissent en un doux murmure.Ils viennent, couvrant l’air d’un manteau noir,
Le tonnerre et l’éclair messagers de l’orage.
Enfin, le calme revenu, les oisillons
Reprennent leur chant mélodieux. »
Vous avez peut-être remarqué que le compositeur emploie abondamment le figuralisme comme procédé d’écriture. Il s’agit d’un outil où l’on évoque musicalement une idée, une action ou encore un sentiment. Vers les trente premières secondes, portez attention aux violons qui imitent le chant des oiseaux. S’en suivent des ruisseaux et leurs clapotis. Tout juste après, les cieux s’ombragent, tonnerre et éclairs bousculent la paix pastorale, brièvement du moins. Dame nature calmée, le retour des chants d’oiseaux.
Souvenirs de campagne
https://youtu.be/fNXCZXrlX7I?si=UeDAbGvF1OL_CPYC
Pour les symphonies de Beethoven, j’apprécie particulièrement la direction de Karajan.
Bien que l’on puisse associer Beethoven à des pièces intempestives, voire même colériques, je désire vous présenter une oeuvre qui offre des moments de répit et de contemplation, digne de la saison. C’est donc, presque cent ans plus tard, en 1808, que Beethoven accouche de sa 6e symphonie, dite Pastorale. Le compositeur la surnommait du court titre : « Symphonie Pastorale, ou Souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive ».
Dans cette symphonique, on retrouve des éléments picturaux, similaires à l’oeuvre de Vivaldi. Tout d’abord, l’ouverture tisse devant notre esprit le fourmillement constant de la nature qui s’extirpe de son long sommeil. Des oisillons sifflent et des affluents murmurent. Lors du développement de la pièce, à 6:55, un nuage assombrit brièvement cette journée ensoleillée.
Qu’à cela ne tienne, Beethoven soulignait dans plusieurs lettres les limites de la description musicale. Il disait : « La description d’une image appartient à la peinture. » Il met donc l’accent sur la faculté d’expression du sentiment que la musique possède. Ainsi, il s’agit simultanément d’une partition expressionniste et impressionniste. En d’autres termes, elle exprime les oiseaux en citant leurs chants et par évocation, donne l’impression de la vie à la campagne.
En espérant que vos printemps, parfois doux et parfois grisonnants, puissent évoquer cette douceur bucolique et pastorale qui semblait habiter les deux compositeurs.
Alexis Dionne
Directeur artistique de l’Académie des porteurs de musique
0 commentaires