Première tentative

Durant la semaine de relâche, j’ai recommencé à pratiquer le troisième mouvement de la sonate à la lune de Beethoven. C’est un mouvement très rapide et explosif. Une course effrénée où les notes se fracassent comme les vagues se brisent, là où les piques vertigineux précèdent les gouffres profonds.

Je me rappelle, très jeune, que j’écoutais un CD intitulé « Beethoven habite à l’étage ». Très vite, le rêve de jouer cette pièce s’est mis à m’habiter. Petit grain lointain, à peine un songe, sommeillait, bien enfouie en moi, le désir d’un jour jouer cette pièce.

Du haut de mes 16 ans, armé de cette concoction composée d’arrogance et de confiance, je me lance pour la première fois contre la bête. Je peine à lire les notes et mes outils physiques comme techniques sont insuffisants. Les demandes du compositeur sont trop élevées pour moi, j’abdique. Le drapeau blanc est agité, elle a gagné.

Deuxième essai

Après avoir tergiversé pendant quelques années entre les arts graphiques, la composition numérique et la programmation, la musique classique continue de vivre en moi. Petit grain de jadis a bien pris racine. J’apprends des pièces, je dévore la littérature pianistique, les essais, les auteurs, les compositeurs. J’ai 26 ans et j’apprends enfin, pour vrai, mes gammes. L’heure est venue, la bête se pointe à l’horizon, toujours aussi menaçante avec sa dizaine de pages.

Je prends mon élan et à pieds joints j’y saute. Cette fois-ci, ce n’est pas les défis techniques qui auront raison de moi, mais une combinaison d’absence de sensibilité musicale et de concentration pure. Sur la sensibilité musicale, je cadrais la pièce presque qu’exclusivement sur des problématiques techniques, alors que la plupart des réponses se trouvaient dans l’émotion, dans l’effet escompté.

Par ailleurs, au niveau de la concentration pure, j’avais encore beaucoup de difficulté à faire travailler en tandem les multiples outils d’absorption de la musique. Ainsi, après quelques semaines, voire quelques mois, insatisfait des progrès, j’ai remisé mon grand cahier bleu de Beethoven et je me suis dirigé vers d’autres défis.

Jamais deux sans trois

Lors de la semaine de la relâche, je m’y suis attaqué une troisième fois. Auparavant, la pièce s’imposait en tant que titan. Grande et forte, à la frontière de l’insurmontable. Enfin, je la sens à portée de doigts. En travaillant quotidiennement, je me suis rendu plus loin que jamais en une seule semaine. J’en discutais avec un élève cette semaine : en somme, c’est une pièce qui m’aura pris 17 ans à apprendre.

En 17 ans, ce qui aura le plus changé dans mon jeu pianistique est d’abord l’amour que je porte à la musique. En parallèle, j’ai pris conscience de la responsabilité que nous avons envers ce que nous aimons. Au final, mes doigts sont meilleurs, certes, mais c’est mon écoute qui s’est aiguisée. Mon détour par les arts virtuels, les spectacles que je vais voir, m’a permis de finalement dominer la bête.

Pour les curieux et les curieuses, je vous conseille sur YouTube d’écouter d’abord la version de Valentina Lisitsa et ensuite la version de Vladimir Horowitz. Beethoven – Moonlight Sonata, 3rd movement.